Jeudi 25 juin 2020 à 20h Sylvain Jaudon Concert

Jeudi 25 juin 2020 à 20 heures,  connexion ici

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Sylvain Jaudon

 

Live on :  Thursday June 25, 20.00

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Sylvain JAUDON nous convie ce soir à écouter un vaste panorama de … musique ibérique.

Programme

Felix MAXIMO LÓPEZ (1742 – 1821) : Variaciones del Fandango Español en ré mineur

Domenico SCARLATTI (1685 – 1757) : Sonate en ré majeur K 492/ L 14

Heitor VILLA-LOBOS (1887 – 1959) : As três marias (Alnitah – Alnilam – Mintika)

Enrique GRANADOS (1867 -1916) : Allegro de Concert en ut # majeur (molto allegro – allegro spirituoso)

Arturo MARQUEZ (né en 1950) : Danzón n° 2 (transcription pour piano de Leticia Gomez-Tacle)

Federico MOMPOU (1893 – 1987) / transcription d’Arcadi VOLODOS : Damut de tu nomes les flors

Mozart-Camargo GUARNIERI (1907 – 1993) : Ponteio n° 30

Manuel de FALLA (1876 – 1946) : Quatre pièces espagnoles : n°4 : Andaluza

Ernesto LECUONA (1895 – 1963) : La Comparsa

Ernesto LECUONA (1895 – 1963) : La conga de la media noche

Isaac ALBENIZ (1860 – 1909) : Triana (extrait du Livre 2 n° 3 d’Iberia)

Enrique GRANADOS (1867 – 1916) : Quejas ó la Maja y el ruiseñor – andante melancólico (Goyescas n°4)

Alberto GINASTERA (1916 – 1983) : 3 Danzas argentinas Opus 2.

Danza del viejo boyero (danse du vieux vacher)
Danza de la moza donosa (danse de la belle demoiselle)
Danza del gaucho matrero (danse du gaucho rusé)

Sylvain JAUDON va nous permettre de découvrir un vaste monde musical ne s’arrêtant pas seulement aux frontières de la péninsule ibérique mais englobant aussi de multiples pays américains allant du Mexique jusqu’à l’Argentine en faisant escale aux Caraïbes.

Ce vaste panorama nous permettra de nous familiariser avec ces musiques aux traditions musicales fortement ancrées dans l’ADN national de chaque pays. Leurs atmosphères sont extrêmement variées et contrastées grâce à leurs racines ethniques multiples constituant depuis plusieurs siècles la richesse des musiques ibériques et sud-américaines.

Sylvain JAUDON débutera ce récital avec une œuvre de Felix Maximo LÓPEZ un musicien madrilène contemporain de GOYA et de BEETHOVEN (tiens encore lui ?). LÓPEZ décline avec une série de six variations le Fandango, l’une des danses folkloriques les plus typiques de la musique espagnole.

Le Fandango originaire d’Andalousie voit le jour dans la seconde moitié du 18ème siècle. Il se dansait au départ dans les bas-fonds avant de se parer de nobles manières. Cette danse populaire accompagnée de guitares et de castagnettes est d’un érotisme à peine voilé sans pour autant sombrer dans la vulgarité. Elle s’assagit dès la fin du 18ème siècle pour devenir le véritable emblème de la musique espagnole. Cette danse de couple qui se pratique sans aucun contact entre les partenaires a pour caractéristique d’utiliser traditionnellement la tonalité de ré mineur et d’être suivie de variations de plus en plus virtuoses entraînant les protagonistes dans une danse totalement endiablée et épuisante a l’instar de La Folia originaire du Portugal ou de la Tarentelle italienne.

Si Domenico SCARLATTI n’est pas à proprement parler un ibère de sang puisqu’il est napolitain il a néanmoins toute sa place dans ce concert puisqu’il est le tout premier compositeur d’importance à avoir popularisé la musique ibérique en intégrant dans ses sonates toutes ses caractéristiques de la musique espagnole (ses rythmes, ses instruments et jusqu’à l’âme de ses habitants).

Vers vingt ans, Scarlatti est engagé par la Maison de Bragance, étroitement liée à la famille Royale du Portugal. C’est par cette entremise que Scarlatti sera nommé par Jean V « le Magnifique » professeur de musique de son frère cadet, et surtout de sa fille l’Infante Maria Barbara. Scarlatti se rend à Lisbonne vers 1720 et s’acquitte parfaitement de son rôle auprès de la famille royale.

L’attachement fidèle de Scarlatti à Maria Barbara durera jusqu’à sa mort en 1757. Il restera 28 ans à son service et lorsque celle-ci épouse en 1729 le futur roi d’Espagne Ferdinand VI, Scarlatti la suit à Séville puis à Madrid. Autant pour divertir que pour instruire la Reine, Scarlatti composera 555 sonates pour clavecin. Ces sonates perdront au fil du temps leur but purement didactique, et deviendront des œuvres très élaborées, poétiques, s’inspirant le plus souvent de la vivifiante et bouillonnante musique populaire espagnole dont la couleur fait cruellement défaut à la Cour d’Espagne. Dans la sonate Kirkpatrick 492 que Sylvain va nous interpréter on y retrouve tel un exemple parfait, certains rythmes caractéristiques des danses espagnoles, mais aussi l’imitation d’instruments typiquement espagnols comme les guitares ou les castagnettes. Dans cette sonate on y entend même les bruits de pas des danseurs.

Après cette incursion dans la musique espagnole du 18ème siècle, nous faisons un premier bond dans le temps et l’espace pour nous retrouver avec quatre pièces pour piano du plus grand compositeur brésilien au 20ème siècle qu’est Heitor VILLA-LOBOS.

As Três Marias est une courte suite pour piano en trois parties, composée par VILLA-LOBOS en 1939 sur l’instigation d’Edgar VARESE. Ces pièces pour célestes qu’elles soient n’ont rien à voir ni avec la Sainte Vierge ni même avec des êtres de chair et de sang puisque le compositeur reproduit musicalement la pâle et délicate lueur de trois étoiles de la constellation d’Orion (Alnitah, Alnilam et Mintika) que l’on assimile sous le surnom « des Trois Maries ». VILLA-LOBOS utilise ici à souhait les sonorités aigües du piano dans un langage très dépouillé. En enchaînant ces trois miniatures, on en apprécie d’autant plus l’interrelation de leur pulsation.

Revenons à l’Espagne avec cette pièce d’Enrique GRANADOS au parfum de romantisme assumé intitulée « Allegro de Concert » comme pour se mesurer à CHOPIN et à LISZT. Cette pièce composée en 1903 par GRANADOS lui a été commandée par le Directeur du Conservatoire de Madrid désireux de présenter une œuvre originale et consistante aux épreuves de fin d’études. GRANADOS se retrouva en concurrence avec Manuel de FALLA mais il eût la préférence car cet Allegro de Concert correspondait en tous points à la demande du Directeur du Conservatoire tant au niveau de la virtuosité affichée (même si elle est parfois un peu surjouée) que de l’élégance et de l’expressivité pour donner corps aux thèmes mélodiques souvent enfiévrés où se mêlent une noblesse de style et une grande fantaisie dans le discours alternant des passages dramatiques à d’autres plus enjoués.

La Danzón n°2 pour orchestre du compositeur mexicain Arturo MARQUEZ a été composée en 1994. Elle est si célèbre qu’elle est considérée dans son pays comme le second hymne du Mexique. Pour la composer MARQUEZ s’est inspiré des musiques cubaines mais surtout des musiques de son pays de la région de Veracruz. Elle fait partie d’un ensemble de neuf pièces dont elle distingue par sa qualité et son langage typique adapté pour la danse.

L’œuvre est une commande de l’université nationale autonome du Mexique. Elle a été conçue au cours d’un voyage de MARQUEZ à Malinalco avec le peintre Andrès FONSECA et la Danseuse Irène MARTINEZ avec qui il partage l’une passion pour les danses de salon mexicaines et tout particulièrement celles du Danzón. Tous trois sont allés à Veracruz, berceau du Danzón. Pour MARQUEZ, l’intérêt de ces compositions était de faire juxtaposer le rythme et la danse.

Federico MOMPOU est certainement le moins connu des grands compositeurs espagnols du vingtième siècle. Il naît à Barcelone en 1893 d’un père catalan et d’une mère française, il commence ses études de piano au Conservatoire de sa ville natale où il donne son premier concert à l’âge de quinze ans. En 1911 il part à Paris pour parachever ses études musicales. Très timide, il est rebuté par la scène, et préfère dès 1913 abandonner une hypothétique carrière de concertiste pour se consacrer exclusivement à la composition. MOMPOU est attiré par l’esthétique des compositeurs français du début du vingtième siècle, et particulièrement par DEBUSSY et SATIE dont il apprécie la concision. La musique de MOMPOU crée un maximum d’expression avec des moyens extrêmement réduits, voire minimalistes. En musique, il pense « son » et pas « architecture » ni « langage ». Son œuvre est essentiellement pianistique. Elle ne se complait pas dans l’effet, et demeure en toute occasion très intimiste. Ainsi il adapte nombre de musiques populaires espagnoles en limitant au maximum les développements et les modulations. MOMPOU a composé plus d’une centaine de miniatures pour le piano, n’excédant que très rarement les cinq minutes. Entre 1959 et 1967 il compose son œuvre pianistique majeure : la « Musica Callada » (La Musique du silence) constituée de 28 pièces sans titre. Il donne souvent à celles-ci une impression de grande liberté, proche de l’improvisation. Mompou se partage entre l’Espagne et la France où il vivra plus de 20 ans. En 1941, il retourne définitivement vivre à Barcelone. Tout comme Claude DEBUSSY, MOMPOU s’inspire de sonorités particulières comme le tintement des cloches. Il tentera de donner à ces pièces un son très épuré, débarrassé de toute référence à un langage musical savant, qu’il estime trop lourd et redondant. Sylvain a choisi de nous interpréter une mélodie à l’origine pour voix et piano dans la magnifique interprétation d’Arcadi VOLODOS qui fait tout particulièrement ressortir le caractère poétique de la musique de MOMPOU illuminant son caractère sprituel. Cette mélodie s’intitule « Damunt de tu només les flors » (posées sur toi rien que des fleurs) sur un texte de Josep JANÉS

Face à la musique, MOMPOU a une attitude d’ascète à la fois introspective et lapidaire. Certains comparent ses œuvres à des haïkus japonais, à la fois concis et méditatifs. MOMPOU énonce quelques idées musicales brèves mais essentielles et les laisse évoluer par elles-mêmes en toute liberté, trouvant leur conclusion naturelle dans leur propre résonnance.

Porter le prénom certes original de Mozart en portant le nom d’une célèbre dynastie de luthiers, voilà qui prédestinait Mozart Camargo GUARNIERI à devenir compositeur. Pourtant ce dernier n’est ni autrichien ni italien (bien que d’origine sicilienne). Il voit le jour à Tietê au Brésil dans l’état de São Paulo. Enregistré à l’état civil sous le nom de Mozart GUARNIERI, il trouve son prénom prétentieux et l’échange contre le nom de jeune fille de sa mère Camargo (l’histoire ne dit pas si c’est parce qu’il aimait les taureaux et chevaux en liberté). Toujours est-il que Mozart Camargo GUARNIERI fera honneur à son nom en devenant pianiste, chef d’orchestre, enseignant mais surtout l’un des plus grands compositeurs brésiliens avec bien sûr son contemporain Heitor VILLA-LOBOS (qui a rejeté dans l’ombre tous ses confrères brésiliens). Il fera ses études au conservatoire de São Paulo puis à Paris auprès de Charles KOECHELIN et de Nadia BOULANGER. Tout comme VILLA-LOBOS il composera énormément deux opéras, six symphonies, huit concertos ainsi que de nombreuses œuvres de musique de chambre et de piano (plus d’une centaine), son instrument de prédilection et près de deux cents mélodies populaires aux origines multiples portugaises, afro-brésiliennes et amérindiennes. Il travaille avec Mario de ANDRADE un ethnomusicologue nationaliste brésilien qui lui permet de découvrir la musique populaire de son pays qu’il intègre à son propre langage musical. Sylvain JAUDON interprétera le Ponteio n°30. Le corpus des cinquante ponteios (divisé en cinq cahiers) est certainement le chef d’œuvre pianistique de GUARNIERI. Le ponteio qui à l’origine désignait une façon particulière de pincer un instrument à cordes comme la guitare se rapproche du Prélude (tels que le concevaient CHOPIN, RACHMANINOV ou SCRIABINE) tant par sa taille que par son essence romantique. Néanmoins le ponteio est typiquement brésilien ; on en retrouve d’ailleurs dans la musique de VILLA-LOBOS et par exemple dans ses Bachianas Brasileiras.

Manuel de FALLA est peut-être le plus authentique compositeur espagnol qui soit. Andalou de naissance, de FALLA est un mystique et un ascète. Cette austérité et ce refus de la séduction se ressentira dans sa musique qui célèbre au plus haut degré le Flamenco. De FALLA a subi à Paris l’influence de DEBUSSY et de RAVEL mais demeure totalement espagnol dans son expression et ses racines. Avec son ami Garcia LORCA, il défend la pureté de la musique traditionnelle andalouse qu’il transcende à maintes reprises dans ses œuvres (Fantasia Baetica, Nuits dans les jardins d’Espagne, Le Tricorne, la Vie brève, l’Amour sorcier, les sept chansons populaires etc..). Il ira même jusqu’à créer un concours de Cante Jondo.

Sylvain a choisi de nous interpréter ce soir « Andaluza », la dernière pièce d’un recueil composé en 1908 intitulé « Cuatro piezas españolas ». Dans ces quatre pièces, de FALLA concilie des rythmes et des mélodies populaires typiquement espagnoles (et même cubaine pour l’avant dernière pièce) comme la Jota, le fandango, le zapateado ou la buleria avec un langage musical impressionniste hérité de son long et prégnant séjour parisien.

« Andaluza » évoque tout d’abord le tumulte des chants et des danses de sa région natale avec ses violents traits de guitare et ses percussions aux accents puissants et incisifs avant que ceux-ci ne s’apaisent dans la seconde partie de la pièce. La musique perd alors son côté âpre et abrupt pour laisser la place à un passage extrêmement poétique, un chaud lyrisme typiquement espagnol qui se termine, à peine murmuré, dans un pianissimo quasiment imperceptible, comme pour s’excuser d’avoir sacrifié à l’éclat. De FALLA indique lui-même qu’Andaluza « répond avant tout à une intention dramatique ».

Après l’Andalousie chère à de FALLA, Sylvain nous propose de rendre hommage à un compositeur et pianiste Cubain tout à fait exceptionnel. Ernesto LECUONA puisque c’est de lui dont il s’agit, s’est exilé, refusant de vivre sous le régime castriste dont l’administration tatillonne et répressive prenait modèle sur le grand frère soviétique. LECUONA ne reviendra jamais dans son pays natal et mourra aux îles Canaries en 1963.

Ernesto LECUONA fut un compositeur prolifique et un très brillant pianiste virtuose cherchant à faire évoluer la musique de son pays et la faire connaître au monde. Même si son œuvre pour piano a largement assuré sa renommée, il composera aussi de nombreuses œuvres destinées au chant, à la scène et écrira aussi de la musique de film.

Comme nous allons nous en rendre compte, sa musique est à la fois brillante, intense, chaleureuse et extravertie, typique de cette musique cubaine particulièrement entraînante et extravertie. La musique de LECUONA s’inspirera de la musique folklorique qui joue un rôle très important dans son œuvre en mêlant des rythmes et des mélodies héritées à la fois des populations autochtones, des colons espagnols et des esclaves africains.

LECUONA (avec d’autres moyens) s’engage sur la voie tracée par Louis Moreau GOTTSCHALK quelques décennies plus tôt. Ce dernier avait composé pour un piano plus romantique des œuvres inspirées par les mélodies et rythmes des esclaves noirs de Louisiane et des îles Caribéennes. Tout comme GOTTSCHALK, LECUONA divisera sa musique pour piano en plusieurs catégories comme les musiques inspirées par l’Espagne, les pièces de caractères, la musique à danser et les musiques locales (pour lui cubaines). LECUONA apportera cependant à sa musique un ingrédient qui n’existait pas encore chez GOTTSCHALK (même si on le pressent déjà dans sa musique) qui est l’introduction du Jazz dans la musique cubaine. La musique Cubaine gardera dans ses gènes cette dose indispensable de jazz latino-américain dont la Salsa est l’un des plus beaux fleurons.

Ernesto LECUONA saura donner à ce Jazz une identité latino-américaine très particulière basée sur des rythmes de danses. La « Comparsa » ou « la Conga de la media noche » que va nous interpréter Sylvain sont deux pièces typiques de ces multiples influences culturelles et ethniques, à la fois caribéennes, africaines et ibériques. Ces deux pièces pour piano composées en 1930 sont extraites d’un recueil de six pièces intitulé « Danzas Afro-cubanas ». Dans le folklore cubain, les comparsas sont des groupes composés d’un chanteur, de musiciens et de danseurs chargés d’animer les Carnavals du mois de juillet dont le plus célèbre est celui de Santiago de Cuba. Parfois les comparsas défilent autour de minuit où ils dansent des Congas, ces danses cubaines d’origine africaine accompagnées par des tambours.

ALBENIZ était un enfant particulièrement précoce dans bien des domaines : A quatre ans il donnait son premier concert, à six ans il se présentait au Conservatoire de Paris, à treize ans il faisait sa première fugue (mais pas musicale celle-là). Ce grand admirateur de LISZT, était à l’instar de son idole un virtuose accompli et un grand voyageur. Il se fixe à Paris où il devient l’élève de Vincent d’INDY. Ami de Gabriel FAURE, d’Ernest CHAUSSON, et de Paul DUKAS, ALBENIZ passera une grande partie de sa vie à Paris. Il fut très influencé par la musique impressionniste et tout particulièrement par celle de Claude DEBUSSY.

Cet homme érudit et raffiné, composa entre 1905 et 1908 la plus monumentale œuvre pianistique consacrée à l’Espagne. Il s’agit du cycle « d’Iberia » sous-titré « Impressions d’Espagne ». L’œuvre comporte douze pièces réparties en quatre cahiers de trois pièces.

Si on trouve dans toutes les pièces d’Iberia les caractéristiques du folklore musical espagnol (jota, fandango, zapateado, malagueña etc..), cette musique aux harmonies impressionnistes est beaucoup plus qu’une simple carte postale sonore.

ALBENIZ conçoit ces pièces avec une imagination créatrice débordante, et s’affranchit des différents cadres musicaux imposés par les différents folklores régionaux, même si chacune des pièces d’Iberia évoque des villes espagnoles, ou des quartiers précis. Lorsqu’il compose Iberia, ALBENIZ est loin de son pays natal ce qui explique l’atmosphère nimbée de mélancolie de certaines pièces où ALBENIZ suggère plus qu’il ne décrit.

Au fur et à mesure de l’évolution du cycle, les pièces s’accroissent en complexité au niveau du langage, devenant de plus en plus énigmatiques. Cette complexité va de pair avec les difficultés pianistiques, le quatrième cahier étant la quintessence de la virtuosité, même si celle-ci n’est pas particulièrement démonstrative. Triana que nous allons entendre sous les doigts véloces de Sylvain JAUDON clôt le second livre d’Iberia. Avec cette pièce ALBENIZ évoque le quartier gitan de Séville un des lieux où s’est développé le Flamenco. Il s’agit là d’une musique de fête, de clameur et de bruits où résonne la juerga (fête flamenca) où le compositeur restitue avec une réalité sonore impressionnante les raclements des guitares, les bruits secs des castagnettes mais aussi les sons produits par les mains (las palmas) et les pieds (el zapateo) des danseurs et chanteurs. Dans cette pièce, deux rythmes (Sévillanas et Marche des Toreros) s’opposent malgré leurs caractères joyeux et festifs dont la légèreté et l’élégance le disputent à une joie fort démonstrative.

Enrique GRANADOS est avec Isaac ALBENIZ (et plus tard avec Manuel de FALLA) l’un des compositeurs les plus marquants de la musique espagnole pour piano. Son œuvre pianistique (à l’instar de son ainé ALBENIZ) est principalement basée et centrée sur la musique de son pays.

Outre ses célèbres Danses Espagnoles composées à la toute fin du dix-neuvième siècle, son chef d’œuvre pianistique réside dans son cycle intitulé « Goyescas » inspiré par l’art pictural de Francisco de GOYA. Ce cycle magistral qui fait dans la musique pianistique espagnole le pendant au cycle d’Iberia composé par ALBENIZ seulement cinq ans auparavant.

Les Goyescas ont été composées à l’origine pour le piano et divisées en deux cahiers respectivement de quatre et deux pièces. Cette suite qui s’intitule aussi « Los Majos enamorados » (les jeunes gens amoureux) a été interprétée pour la première fois par le compositeur le 8 octobre 1911 à Barcelone.

Quelques années plus tard, GRANADOS, conscient de l’œuvre exceptionnelle qu’il vient de composer (écrite selon ses dires « pour toujours ») reprendra le matériau musical des Goyescas pour en faire un opéra. La première des Goyescas sous forme d’opéra devait avoir lieu à Paris. La première guerre mondiale n’ayant pas permis cette création, celle-ci eût lieu à New-York en janvier 1916, où l’opéra rencontra un immense succès. Malheureusement, lors de son retour de New-York, GRANADOS perdit la vie, son paquebot ayant été coulé par un sous-marin allemand.

GRANADOS était un grand amateur de la peinture de Francesco de GOYA, dont les œuvres exploitent des thèmes, des styles et même des techniques picturales multiples pour décrire l’âme espagnole.

Bien entendu, dans les Goyescas, GRANADOS ne fait pas référence aux créatures fantasmagoriques et effrayantes qui peuplent une partie de l’œuvre de GOYA (comme « l’incantation » ou « Saturne dévorant son fils ») mais aux représentations où GOYA magnifie la provocante beauté et l’extrême féminité des « Majas » (jeunes filles d’une catégorie sociale assez décriée), mais dont la féminité autant que la personnalité est révélée tout entière sous le pinceau du peintre. On pense bien évidemment aux « Majas au balcon », à la « Maja nue », à son pendant « la Maja vêtue » mais aussi aux tableaux effectués dans une pose plus « académique » représentant d’une façon toute hispanisante la Marquise de PONTEJOS ou encore la Duchesse d’ALBE.

« Quejas, ó la maja y el ruiseñor » (Plaintes, ou la maja et le rossignol) est une œuvre très intériorisée et mélancolique qui a été dédiée par GRANADOS à sa femme Amparo contrairement aux cinq autres toutes dédiées à de grands pianistes. En partant d’une chanson populaire, GRANADOS a écrit ici l’une de ses plus belles œuvres du fait de sa grande finesse harmonique et de la subtilité dont il fait preuve dans l’exploitation des couleurs musicales, aussi riches que confondantes. Cet andante « melancolico » est écrit dans un style romantique où l’on y perçoit même sur la fin de la pièce certaines allusions à Franz LISZT pour l’évocation du rossignol (Légende de Saint François d’Assise prêchant aux oiseaux). Ici encore les aspects sonores et visuels se marient idéalement pour dépeindre le dialogue rêveur et doucement plaintif mais cependant passionné de la Maja, avec le chant vif du rossignol (exprimé en trilles), amorti par la nuit, ses bruits et ses parfums.

Après l’Espagne de GOYA vue par GRANADOS, nous terminerons ce concert par une dernière incursion dans la musique sud-américaine avec les trois danses argentines d’Alberto GINASTERA, un des plus grands compositeurs argentins du vingtième siècle avec bien sûr Astor PIAZOLLA dont il a été le professeur. Si GINASTERA est le compositeur emblématique de l’Argentine, il a été obligé de fuir son pays en 1970 pour s’installer en Suisse. Son œuvre est très importante et variée puisqu’elle est constituée à la fois de compositions de grande envergure (trois opéras, deux ballets, de nombreuses œuvres orchestrales et concertantes comprenant sept concertos), mais aussi de pièces de taille plus réduites comme les trois pièces pour piano que nous allons entendre ce soir. Outre ses œuvres exigeant de grands effectifs, GINASTERA a aussi composé des œuvres de musique de chambre très riches et variées ainsi que de nombreuses pièces pour piano et pour orgue.

Les trois courtes Danses Argentines opus 2 ont été composées en 1937. Elles sont directement inspirées par le folklore argentin. Ces danses décrivent et caractérisent parfaitement différents personnages typiques du peuple argentin, que ce soit le caractère rugueux et sec du vieux bouvier, de l’abandon séducteur et tendre de la belle argentine ou enfin de la féroce brutalité du gaucho. Dans ces pièces, GINASTERA enserre les thèmes dans un rythme solide au caractère passionné