Vendredi 10 mars 2017 à 20h Sophia Vaillant en récital

L’Association Chopin Lyon aura l’honneur de présenter au public Lyonnais la pianiste Sophia VAILLANT le Vendredi 10 mars 2017 à 20 heures – Salle Molière

Sophia VAILLANT a fait une partie de ses études musicales à Lyon au CNSMD où elle a obtenu à l’unanimité du jury son diplôme de fin d’études. Ensuite elle se perfectionne dans les plus grands centres musicaux tels que la Guildhall School of music and drama de Londres puis à La Stony Brook University de New York où elle reçoit l’enseignement d’un disciple de Rudolf Serkin.

Sophia VAILLANT aborde tous les genres musicaux avec un égal bonheur que ce soit le grand répertoire mais aussi la musique sud-américaine (particulièrement le tango) en devenant la pianiste de la Tipica du mythique Juan Cedron. Elle interrompt momentanément sa carrière de concertiste et d’enseignante au Conservatoire de Paris pour effectuer une thèse sur la problématique  interprète – compositeur dans la musique piano et électronique à l’Université Paris VIII.

Sophia VAILLANT donne des récitals partout dans le monde (du Concertgebouw d’Amsterdam à l’Eglise de St Martin in the Fields à Londres en passant par le Printemps de Bourges, la Tchéquie (Prague), l’Italie (Florence), les USA, le Canada, le Venezuela, l’Argentine etc. Si elle se produit fréquemment en soliste, elle affectionne tout particulièrement la musique de chambre où elle partage régulièrement la scène avec de prestigieux collègues comme Amy Flammer, Pierre-Henri Xuereb ou Philippe Muller.

Programme :

Frédéric CHOPIN (1810 – 1849)

Mazurka n° 18 en ut mineur Opus 30 n° 1 (Allegretto non tanto)
Mazurka n° 19 en si mineur Opus 30 n° 2 (Vivace)
Mazurka n° 20 en ré bémol majeur Opus 30 n° 3 (Allegro non troppo)
Mazurka n° 21 en ut dièse mineur Opus 30 n° 4 (Allegretto)
Scherzo n° 1 en si mineur Opus 20

Scherzo n° 2 en si bémol mineur Opus 31

 

Clara SCHUMANN (1819 – 1896)
Soirées Musicales Opus 6 (extraits)

–          n° 3 : Mazurka en sol mineur

–          n° 2 : Notturno en fa majeur (andante con moto)
Scherzo en ut mineur Opus 14

– — – – ENTRACTE – – – – – –

 

Maurice RAVEL (1875 – 1937)

Miroirs :

–          1. Noctuelles

–          2. Oiseaux tristes

–          3. Une barque sur l’océan

–          4. Alborada del gracioso

–          5. La vallée des cloches

Isaac ALBENIZ (1860 – 1909)

Iberia 1er  Livre : n° 3 La Fête Dieu à Séville

Sophia VAILLANT étudie le piano au CNR de Boulogne-Billancourt avec Geneviève Ibanez. Elle continue parallèlement sa formation générale (baccalauréat puis études de psychologie à l’université René Descartes à Paris).

Elle reçoit en 1988 un premier prix de piano à l’unanimité, en 1989 un premier prix de musique de chambre puis rentre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon dans la classe de Pierre Pontier. En 1992 elle obtient le Diplôme National d’Etudes Supérieures Musicales mention très bien à l’unanimité du jury à l’épreuve instrumentale dans cet établissement. Elle devient alors artiste en résidence : au Banff Centre for the Arts (Canada), puis au Steans Institut for the Arts (Festival de Ravinia, USA) et enfin à l’Académie Ravel de Saint-Jean-de-Luz.

Grâce aux bourses d’études du Ministère des Affaires Étrangères (bourse Lavoisier) et du Mécénat Société Générale, elle travaille deux années durant à la Guildhall School of Music and Drama à Londres (postgraduate) et à l’Université de Stony-Brook à New York (master).

Elle suit alors les conseils de grands Maîtres : Gyöygy Sebok, Walter Levine, Alexander Volkov, Paul Berkowicz, (disciple de Rudolf Serkin au Curtis Institute), Jean Claude Pennetier, Oli Mustonen, Bernard Greenhouse (le violoncelliste du Beaux-Arts Trio).

Elle débute ses études à la Levine School of Music à Washington DC auprès de Julian Martin, d’où elle sort diplômée.

Sophia VAILLANT a été finaliste de la Yamaha Kemble Competition, demi-finaliste du YCAT et du Concours International d’Illzach et premier prix du Guildford Symphony Competition en 1993.

Curieuse de la musique de son temps, Sophia VAILLANT participe à la création d’œuvres contemporaines, avec notamment l’Ensemble Instant Donné, à l’abbaye de Royaumont, l’Ensemble Oden à Odessa, en Ukraine, l’Ensemble Fa dirigé par Dominique My et s’engage dans plusieurs projets de musique improvisée (avec le peintre Félix Rozen notamment) et théâtre (tournoi d’improvisation à Poitiers, Instants Chavirés à Montreuil, composition de la musique pour une création musique et théâtre au Rideau Rouge, au Goethe Institut à Paris…).

Elle consacre également une grande partie de son temps au tango et a joué régulièrement avec l’orchestre La Tipica de Juan Cedron, avec qui elle enregistre un CD, et participe à plusieurs émissions de radio (Le fou du roi, Sous les étoiles, Un Mardi idéal). Ils se produisent partout en France et en Europe (Concertgebouw Amsterdam, Festival Latino de Rotterdam, Quartz à Brest, Printemps de Bourges, New-Morning). César Stroscio, Nini et Rudi Flores, Nicolas Ledesma ont également été ses partenaires de tango. Elle fonde en 2009 le groupe « TamborTango » dont le répertoire s’inscrit dans un univers partagé de pièces traditionnelles et celles plus modernes d’Astor Piazzolla.

Sa passion de la musique de chambre lui permet de jouer avec des artistes reconnus tels que Pierre-Henri Xuereb, Philippe Muller, Annick Roussin, Yvan Chiffoleau, Bernard Cazauran, Vladimir Mendelssohn, d’être également membre du Trio Von Paris (avec Sona Khochafian et Ariane Lallemand), et ne lui fait pas négliger pour autant sa carrière soliste : nombreux récitals en France (Salle Cortot à Paris, Académie musicale de Chartreuse, Salle Molière et Opéra de Lyon…), en Allemagne (Hanovre), Pays-Bas, Angleterre (Institut Français à Londres, Eglise de Saint-Martin-in-the-Fields, Concerto de Schumann avec l’Orchestre symphonique de Guildford, Barbican Foyer, Southwark…), USA (Staller Centre), Venezuela (Festival Atempo), Malte (Festival International de Gozo), Tchécoslovaquie (Atrium de Prague). Sophia VAILLANT a donné de nombreuses masterclasses en France, au Canada, aux USA, à Prague.

Sophia VAILLANT a enregistré plusieurs CD dont le premier en solo était consacré à des œuvres de Messiaen, Liszt et Pileggi. Un nouvel enregistrement comprenant des œuvres de Daniel Lesur et le premier livre des études de Debussy vient de paraître.

C’est par une incursion dans l’univers pianistique de Chopin que nous convie Sophia VAILLANT pour débuter son récital avec tout d’abord les quatre Mazurkas opus 30.

Dans son œuvre Chopin nous ramène souvent au folklore polonais dont il s’est fait un sublime porte parole, en composant des œuvres originales sur les rythmes populaires de la polonaise, de l’oberek, de la ksebka, de la cracovienne et enfin de la mazurka. Cette danse traditionnelle est particulièrement emblématique du folklore polonais.

Les cinquante sept Mazurkas écrites par Chopin ont été publiées en treize groupes de trois, quatre ou cinq pièces. Comme il le fera toujours, Chopin ne reprend pas des thèmes existants dans la musique populaire polonaise qu’il aurait pu entendre dans son enfance, mais il invente ses propres mélodies afin de mieux les adapter à son langage, ainsi qu’aux contraintes techniques imposées par le piano.

Tout au long de sa vie Chopin manifesta un intérêt tout particulier pour la Mazurka, cette danse d’origine populaire (contrairement à l’aristocratique Polonaise). Son rythme à trois temps, accentué sur le deuxième temps est typique de cette danse. Chopin composera des mazurkas jusque sur son lit de mort puisqu’il commença sans pouvoir l’achever une mazurka en fa mineur. Malgré leur brièveté, les mazurkas ne sont nullement des compositions mineures. Leur profondeur et leurs qualités musicales intrinsèques en font des œuvres aussi abouties que toute autre composition de Chopin.

Les quatre Mazurkas opus 30 datent de 1837 et sont dédiées à la Princesse Marie de Wurtemberg. Chopin les conçoit comme un véritable petit cycle. La première Mazurka semble se présenter comme un bref prélude qui débute timidement dans un climat folklorique légèrement languissant qui s’anime dans son passage central avant de revenir au premier motif. La concision de cette Mazurka surprend au point qu’elle semble ne pas avoir de véritable Coda. La musique s’évanouit comme par magie. La seconde Mazurka débute sur un premier motif basé sur un jeu de brèves questions / réponses. Le second motif avec sa progression harmonique prend finalement le pas sur le premier thème qui n’est pas réexposé. La troisième Mazurka est une œuvre lumineuse et rayonnante qui dispose d’une introduction avant l’émergence d’un thème enjoué à la rythmique prononcée. Son caractère noble s’éloigne cependant de la conception traditionnelle de la Mazurka chez Chopin. Comme souvent chez ce dernier la dernière Mazurka d’un groupe est souvent la plus élaborée. C’est le cas de cette série opus 30 dont la quatrième Mazurka s’inspire de façon évidente du folklore polonais. Chopin la conçoit à la manière d’une improvisation car dès sa brève introduction et la longue phrase qui s’ensuit, il est parfois difficile de deviner les évolutions mélodiques et harmoniques de la Mazurka. Dans sa partie centrale « con anima » l’œuvre se pare d’accents slaves prononcés à la manière d’un hymne. La coda est tout à fait originale par son enchaînement d’accords de septième (non résolus) et la nudité énigmatique des dernières notes où il ne subsiste plus qu’une voix dans le bas de clavier.

Chopin a composé ses Quatre Scherzi sur une période de onze ans, entre 1831 et 1842. Il restitue partiellement au terme « Scherzo » son sens premier de pièce à la fois brillante et divertissante, que Beethoven avait détourné pour en faire un mouvement (à trois temps) rapide et passionné, destiné à remplacer dans la sonate classique l’archaïque menuet alors démodé. Bien entendu, si Chopin restitue au Scherzo ses caractéristiques initiales au niveau de l’entrain et de l’énergie, il en gommera les aspects divertissants et joyeux au profit d’une émotion dramatique et poétique plus adaptée à son langage.

Composé en 1831, la genèse du premier Scherzo est due à des circonstances dramatiques qui obligeront Chopin à ne jamais retourner en Pologne. Lorsqu’il compose cette œuvre violente et douloureuse, Chopin est à Vienne où il séjourne pour la seconde fois. Après un premier séjour triomphal en 1829, il est cette fois mal accueilli par un public viennois versatile qui préfère dorénavant des pianistes plus extravertis. C’est pendant ce séjour qu’il apprend que la Pologne a été annexée par la Russie et que le soulèvement de Varsovie a été réprimé dans le sang. Eloigné des siens et impuissant devant les évènements Chopin compose alors plusieurs œuvres de révolte et de tumulte comme l’Etude Révolutionnaire ou le premier Scherzo. Au bout de huit mois Chopin ruiné et amer fuira à Paris pour échapper aux tracasseries administratives d’une Vienne tatillonne qui a pris ouvertement parti pour la Russie.

Cette œuvre présente une découpe traditionnelle en trois parties (A – B – A) où les deux thèmes utilisés s’opposent radicalement par leur caractère. L’œuvre débute par deux longs accords puissants dans les registres opposés du clavier qui créent immédiatement une tension extrême tels deux coups de semonce. Ils annoncent une course à l’abîme à la fois haletante et passionnée qui exprime les sentiments tourmentés de Chopin. Le second thème est tout à l’opposé où Chopin reprend le thème populaire d’un Noël polonais qu’il déploie longuement telle une douce berceuse, tendre et presque statique. Chopin réintroduit à la fin de ce deuxième thème les deux accords menaçants du début pour justifier psychologiquement le retour du premier thème au contraste saisissant. Chopin ne se  contente pas de la rage contenue dans ce premier thème (A) mais il en accentue encore l’effet en terminant le Scherzo par une coda « sempre piu animato » d’une violence  indescriptible s’achevant sur une série de neuf accords fortissimos, une suite d’arpèges descendants, traversant tout le clavier et finalement venant mourir héroïquement sur une véhémente gamme chromatique ascendante.

Le deuxième Scherzo, a été composé à Paris en 1837, six ans après le premier. Chopin n’est plus alors le tout jeune compositeur itinérant à la recherche de reconnaissance et surtout d’une seconde patrie. Il s’est installé dans la capitale française où il jouit dans les cercles culturels parisiens qu’il fréquente régulièrement d’une solide réputation de pianiste virtuose et de compositeur particulièrement raffiné. Il donne aussi des cours de piano à nombre de nobles dames et demoiselles dont la Comtesse Adèle de Fürstenstein à qui il dédie ce deuxième Scherzo. Là encore nous avons affaire à une œuvre remarquable par sa richesse et sa variété où la tension et l’inquiétude s’expriment dès le premier thème avec ses triolets interrogatifs auxquels répondent des accords violents aux accents dramatiques. Il s’ensuit un long passage lyrique et intense où le sentiment d’inquiétude fiévreuse perdure. Le Trio central est composé de deux thèmes enchaînés dont le premier au caractère introspectif fait place à un développement ardent au lyrisme puissant. L’œuvre s’achève par une coda exaltée, sorte de condensé triomphal et brillant des motifs déjà utilisés.

 

Non ce n’est pas une erreur, ce sont bien des œuvres de Clara Schumann et non de son mari Robert que Sophia VAILLANT a inscrit à son programme.

On connaît surtout Clara au travers des œuvres enflammées que Robert Schumann lui a écrites et qui sont autant de déclarations d’amour déguisées.

On sait que le père de Clara, l’intraitable Friedrich Wieck était le professeur de piano de Robert et qu’il s’est opposé par tous les moyens à leur union au point que Robert Schumann a été contraint de déposer plainte contre son futur beau père pour enfin pouvoir épouser sa bien aimée.

Clara Wieck n’était pas seulement l’épouse d’un des plus grands génies de la musique romantique allemande, elle était surtout sa  muse. Née neuf ans après Robert, Clara avait toutes les caractéristiques de l’enfant prodige. Elle se produit en public alors qu’elle n’a pas encore neuf ans et elle est certainement la première femme à devenir une interprète professionnelle sans crouler sous le poids d’une société réactionnaire reléguant alors la femme à un rôle d’épouse dévouée, chargée de tenir le ménage et d’obéir docilement à son mari.

Non seulement Clara Wieck est une femme libérée, mais elle est aussi une intellectuelle et une musicienne accomplie. Outre ses dons de virtuose, elle stupéfiait son auditoire par ses dons d’improvisatrice. Au cours de sa vie elle traitera sur un pied d’égalité avec tous les plus grands musiciens de son temps comme Mendelssohn, Liszt puis Brahms pour n’en citer que quelques uns.

Bien entendu, sa rencontre avec Robert Schumann sera déterminante : Elle le rencontre à onze ans, s’éprend de lui à dix-huit, l’épouse à vingt et un, et de leur union qui durera seize ans, naîtront huit enfants. Sur le plan artistique elle deviendra sa conseillère et son inspiratrice. Après la mort de Robert en 1856, elle deviendra la plus grande interprète des œuvres de son mari et ira jouer sa musique partout en Europe au cours de tournées mémorables afin de perpétuer sa mémoire. Elle lui survivra quarante ans.

Comme nous allons le constater ce soir, Clara Schumann était aussi une compositrice de grand talent, qui a essentiellement composé pour le piano hormis quelques œuvres de musique de chambre, des Lieder et deux œuvres concertantes. On notera bien évidemment une certaine similitude stylistique entre ses compositions et celles de Robert Schumann et il n’était pas rare que l’un reprenne dans ses œuvres des thèmes ou motifs composés par l’autre. Si les œuvres de Clara ont été occultées par celles de Robert c’est aussi de sa propre volonté car elle axera sa carrière sur ses dons d’interprète, délaissant progressivement la composition après son mariage. Robert n’est pas le seul compositeur à influencer Clara et les trois pièces choisies par Sophia VAILLANT montrent aussi une parenté évidente avec la musique de Chopin. Comme lui elle écrit des Scherzos ou des Mazurkas.

Clara Schumann n’a que dix-sept ans lorsqu’elle compose ses Soirées Musicales, un cycle pianistique de six pièces brèves faisant explicitement référence à Chopin par ses titres (à l’exception de la Toccatina initiale). On retrouve ainsi un Nocturne, deux Mazurkas, une Ballade et une Polonaise. Cependant si cette suite pianistique rend hommage au Maître Polonais, le langage utilisé par Clara conserve un esprit plus allemand.

La Mazurka que nous entendrons tout d’abord est extraite des Soirées Musicales opus 6. Cette suite comporte deux Mazurkas qui se complètent tant par leur esprit que par leur tonalité (sol mineur / sol majeur). Ici l’esprit de la danse populaire polonaise est moins présent que chez Chopin et conserve un certain romantisme germanique plus proche de Robert ou de Mendelssohn. Clara compose un magnifique passage central aux contours italianisants rappelant une Barcarolle. 

Le Notturno que nous entendrons ensuite fait aussi partie des Soirées Musicales opus 6. Il s’agit d’une pièce méditative qui se base sur un motif de cinq notes descendantes qui est en quelque sorte la signature musicale de Clara Wieck et que Schumann reprendra à plusieurs reprises dans ses œuvres, pour symboliser de façon cryptée leur amour mutuel, comme au début de sa troisième sonate ou dans sa huitième Novelette.

Le second Scherzo opus 14 de Clara Schumann  a été composé en 1844 alors que cette dernière revient d’une tournée triomphale en Russie. Bien que l’état de santé de Robert se dégrade, ce Scherzo trahit une certaine euphorie de la compositrice. Là encore, on pourrait rapprocher son langage de celui de Mendelssohn (autant de Félix que de sa sœur Fanny dont l’écriture était parfois plus robuste que celle de son frère). Il se rapproche aussi des œuvres de Chopin par le style énergique et la fluidité de la partie centrale (Trio) qui baigne dans une apaisante atmosphère. 

Pour débuter la seconde partie de son récital, Sophia VAILLANT interprétera tout d’abord les « Miroirs » composés par Maurice Ravel en 1905. Si chacune des cinq pièces du recueil a un titre évocateur en revanche, « Miroirs », le titre du recueil, est lui beaucoup plus énigmatique. L’œuvre a été créé le 6 janvier 1906 à la Salle Erard à Paris par le grand pianiste et ami de Ravel : Ricardo Vines (qui est aussi le dédicataire de la deuxième pièce : Oiseaux Tristes).

Avec Gaspard de la Nuit, Miroirs est l’une des œuvres pianistiques majeures de Ravel composée alors que ce dernier est au sommet de ses capacités créatrices et pianistiques. Dans « Miroirs », Maurice Ravel se montre le digne héritier de Franz Liszt à qui il portait très une grande admiration. Ce recueil marque une évolution importante dans son langage et dans son Esquisse biographique, il donne à propos des Miroirs les informations suivantes : « Ce recueil de pièces pour piano marque dans mon évolution harmonique un changement assez considérable pour avoir décontenancé les musiciens les plus accoutumés jusqu’alors à ma manière.

Avec « Noctuelles », Ravel traduit avec un grand réalisme musical les bruissements fugaces émis par le volettement de ces papillons de nuit qui vont et viennent sans suivre une trajectoire définie. Cette description se traduit par des harmonies indécises, des ruptures rythmiques, qui n’excluent pas une grande unité et un sentiment de légèreté donné à la pièce.

C’est encore à une imitation que nous convie Ravel avec la deuxième pièce qui évoque cette fois « les oiseaux perdus dans la torpeur d’une forêt (Fontainebleau) très sombre aux heures les plus chaudes de l’été ». L’atmosphère dépeinte par le compositeur y est particulièrement désolée et statique où il transparait le chant inquiet des « Oiseaux Tristes ».

Changement de décor et d’atmosphère avec « Une barque sur l’océan » qui décrit une frêle embarcation menacée de naufrage, prise au milieu d’une tempête dans mer démontée et écumante. Ravel dépeint de façon saisissante le mouvement de cet océan en colère, aux vagues gigantesques, s’amplifiant et déferlant soudainement sur la barque. Cette pièce, d’une grande difficulté technique est certainement la pièce la plus élaborée et la plus brillante du recueil, même si elle n’a pas l’entrain enthousiasmant et très « grand public » de la pièce suivante : Alborada del Gracioso.

« L’Alborada del Gracioso » (l’aubade du bouffon) contraste avec les pièces précédentes par la netteté de son trait, où les caractéristiques impressionnistes s’estompent, pour faire place à des staccatos percutants, égrenés sur des rythmes nets et  fiévreux, sortes d’échos stylisés du flamenco. Contrairement à la pièce précédente, ici Ravel s’éloigne de l’univers debussyste pour se rapprocher de celui d’Albéniz. Ravel s’est ici inspirée d’une œuvre antérieure (la Sérénade Grotesque).

Pour la dernière pièce du cahier,  « La Vallée des Cloches », Ravel change à nouveau d’atmosphère où, sur une mélodie continue viennent se greffer des sonorités de cloches et de carillons, émis à des nuances différentes afin de spatialiser la pièce en donnant un sentiment de proximité ou d’éloignement des tintements. Cette pièce n’est d’ailleurs pas sans rappeler « Les Cloches de Genève », neuvième pièce de la Première Année de Pèlerinage – La Suisse, écrite par Franz Liszt, son grand modèle. Ravel se serait inspiré (de son propre aveu) par les cloches des églises parisiennes sonnant à midi de tous les endroits de la ville.

La Vallée des Cloches conclut d’une façon rêveuse et un peu mélancolique cette magnifique et passionnante excursion dans l’univers ravélien.

Sophia VAILLANT terminera son récital par une des œuvres les plus abouties d’Isaac Albéniz, « El Corpus Christi en Sevilla » extrait du premier cahier d’Ibéria, son chef d’œuvre pianistique.

Albéniz était un enfant particulièrement précoce dans bien des domaines : A quatre ans il donnait son premier concert, à six ans il entrait au Conservatoire de Paris, à treize ans il faisait sa première fugue (pas musicale celle-là). Ce grand admirateur de Liszt, qui se prétendait même son élève (alors que rien ne le prouve), était à l’instar de son idole un virtuose accompli. Elève de Vincent d’Indy, et ami de Fauré, de Chausson, de Dukas, Albéniz passa une grande partie de sa vie à Paris. Il fut très influencé par la musique impressionniste et tout particulièrement par celle de Claude Debussy. Cet homme érudit et raffiné, composa entre 1906 et 1909 la plus monumentale œuvre pianistique consacrée à l’Espagne. Il s’agit bien sûr d’Iberia, un corpus de douze pièces magistrales réparties en quatre cahiers, sous-titrés « Impressions d’Espagne ».

Si on trouve dans toutes les pièces d’Iberia les caractéristiques du folklore musical espagnol (jota – fandango – zapateado – malagueña etc..), cette musique aux harmonies impressionnistes est beaucoup plus qu’une carte postale sonore. Albéniz conçoit ces pièces avec une imagination créatrice débordante, et se libère largement des différents cadres musicaux imposés par les différents folklores régionaux, même si chacune des pièces d’Iberia dépeint (à l’exception d’Evocación et de Lavapiès) des villes espagnoles, ou des quartiers précis.

El Corpus en Sevilla (ou « La Fête Dieu à Séville ») dépeint avec réalisme la grande procession religieuse pendant laquelle la statue de la Vierge est promenée dans les rues de la ville suivie de fanfares, et de pénitents qui se flagellent. Albéniz spatialise sa pièce qui commence « au loin » par un roulement de tambour suivi d’une marche qui enfle au fur et à mesure que la procession s’approche et l’on perçoit l’agitation, les cloches, l’évocation de la « saeta », perçant cri d’extase religieuse. Tout ce tumulte festif s’estompe enfin au crépuscule et la pièce se termine par une longue coda, dans une quiétude vespérale.

                                                                                                                                                                                                    Jean-Noël REGNIER