Elie Beraha :
Carte blanche à Mario Stantchev
15 janvier 2015
On ne saura probablement jamais qui était J. D.
C’est en tout cas le nom du blues ‘’One For J. D.’’ qu’avait choisi le pianiste Mario Stantchev pour inaugurer le nouveau cycle de soirées mensuelles de cette année 2015 qui lui sont offertes par Yves Dugas.
Une soirée maintenue malgré le contexte social et politique extrêmement violent qui secoue l’Europe et notamment la France.
Ce soir, Mario n’est pas venu les mains vides (si j’ose dire), il est accompagné par trois musiciens qui n’ont plus rien à prouver,
Christophe Lincontang à la contrebasse assure l’arrière plan, proposant une conception plutôt classique de l’exercice, doté de cette attaque nette et puissante qui en font un accompagnateur apprécié.
La pointe du diamant est incarnée par les frères Roche,
Manhu à la batterie qui, après avoir joué avec Chet Baker dans les années 80, s’expatrie en Italie pour y rester 14 années durant lesquelles il jouera avec la majeure partie des musiciens transalpins et sera le dernier partenaire de Michel Petrucciani qu’il accompagnera de 1996 jusqu’à sa disparition en 1999.
Philippe à la guitare, abreuvé au jazz pendant plusieurs années par Michel Petrucciani qu’il fera découvrir à son auditoire, bien avant que celui-ci ne soit une star internationale, initié au Oud auprès de grands maîtres comme le tunisien Khaled Ben Yahia, musicien supplémentaire à l’Orchestre National de Lyon (O.N.L.) et à l’Opéra de Lyon, créateur du département jazz à l’École Nationale de Musique de Villeurbanne.
Pour appréhender leur musique, il faut considérer le duo constitué par Manhu et Philippe comme une entité à part entière, de sorte que nous avons affaire à un trio en quelque sorte, tant l’osmose est puissante entre les deux frères.
Le répertoire propose une composition de Mario, plusieurs de Philippe et quelques-unes du saxophoniste Mario Giammarco.
Une écriture raffinée et élégante, excellent support à la mise en valeur du talent d’un quartet au sommet de son art, avec ce qui peut paraître une banale entrée en matière puisqu’il s’agit d’un blues, comme je le disais en préambule, mais un blues dont les séquences se succèdent par demi-tons, transformant l’exercice en un enchevêtrement mélodique sophistiqué dont seuls des virtuoses peuvent triompher avec les honneurs, puis les mélodies se succèderont, légères, aériennes mais graves aussi, exemptes de toute mièvrerie, avec un Mario Stanchev brillant comme à son habitude mais aussi exemplaire de retenue, au service d’un collectif, un peu à la manière d’Ellis Larkin dans l’abnégation, la finesse du jeu et l’esprit d’à propos, Manhu Roche ailleurs, ayant manifestement renoncé à s’inscrire dans une vaine compétition, se situant plutôt comme un passeur, à la racine et hors du simple tempo, sachant faire chuchoter ses tambours pour exprimer la rigueur de son propos rassembleur et Philippe impassible, au jeu d’un modernisme et d’une cohérence incroyable, ou les lignes les plus complexes, toujours strictement tramées, semblent distillées avec une facilité déconcertante, tant les effets sont frôlés, suggérés avec une sobriété et une décontraction spectaculaire.
Je conclurai en paraphrasant Cioran : à quoi bon fréquenter Platon, quand un quatuor de jazz peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde.
Elie Beraha